vendredi 6 novembre 2009

Votre version de la semaine, Mendoza

En photo : Tuna, Mi Aceituna, par Jaiмe Aиdrés Cadeиa

No me dejó el comisario Flores remolonear en mis cábalas, sino que actuó como si aquel repentino cambio de decorado no precisara de un período, siquiera breve, de adaptación. Yo le precedía por el suntuoso pasillo tratando de adelantar mis glúteos a las punteras de sus zapatos, y así llegamos al término de nuestro periplo, siendo aquél una de las puertas, en cuyo pomo un cartoncito redondo rezaba así: NO MOLESTEN. El comisario golpeó la puerta con los nudillos y alguien desde dentro preguntó que quién iba, a lo que replicó el comisario que él, Flores, tras lo cual se abrió la puerta, pese a que el letrerito admonitorio hacía prever que muy otra sería la acogida, y entramos en un salón demasiado amueblado no ya para mis gustos espartanos, sino para que pudiera yo ganar la ventana y arrojarme por ella sin ser atrapado a medio intento. En vista de lo cual, decidí postergar todo plan de fuga y seguir estudiando el terreno. No dejó de chocarme, dicho sea de paso, el que el cuarto de un hotel que se pretendía bueno no tuviera a la vista ni la cama ni el bidet. Sí tenía, en cambio, un ocupante al que al entrar no había percibido por hallarse oculto tras la puerta que ahora, verificada nuestra identidad, cerraba con pasador, llave y cadena. Era quien tal hacía un maduro caballero de atlética complexión. Sus facciones y modales reflejaban lo elevado de su cuna. Llevaba el pelo grisáceo pulcramente esculpido a navaja, tenía la tez muy bronceada e irradiaba, en conjunto, esa aura de charcutería cara que suele envolver a los cincuentones que trabajan su apariencia corporal. No debía de ser éste, sin embargo, el secreto de la felicidad, porque el caballero en cuestión parecía estar asustado, receloso y un punto histérico. Sin darnos las buenas noches ni interesarse por nosotros en modo alguno, corrió el caballero a sentarse tras una mesa de despacho que ocupaba el centro de la pieza y sobre la que había un teléfono y un cenicero de cristal tallado. Quizás era el temor de que le quitáramos el asiento lo que traía conturbado al caballero, pues una vez sentado recuperó visiblemente la calma, distendió su rostro en una sonrisa bonachona y nos hizo señas de que nos acercásemos. Me asaltó entonces la extraña pero inequívoca sensación de que yo había visto a aquella persona en alguna parte. Quise recordar dónde, pero el destello había vuelto a caer en el pozo negro del subconsciente, del que no había de regurgitarlo la memoria hasta mucho después, cuando ya las cosas no tenían remedio.
Nos acercamos a la mesa y el que se la había apropiado miró al comisario, me señaló a mí y despejó la ambigüedad con ello causada preguntando:
—¿Es éste?
—Sí, excelencia —respondió el comisario Flores.
Quien a semejante tratamiento se había hecho acreedor enroscó el índice con que me apuntaba y se dirigió a mí mediante la palabra.
—¿Sabes con quien estás hablando, hijo? —me preguntó.
Yo dije que no con la cabeza.
—Infórmele usted, Flo —le dijo al comisario.
Éste se acercó a mi oído y susurró como si el interesado no hubiera de escuchar la revelación:
—Es el señor ministro de Agricultura, don Ceregumio Lavaca.
Sin perder un instante, flexioné las piernas, respiré hondo y me impedí por los aires para saltar por encima de la mesa y besar la mano del prócer, y habría logrado mi propósito de no ser por el centelleante rodillazo que el comisario Flores tuvo a bien propinarme en salvas sean las partes. El superhombre, que, en su grandeza, debía de ser inmune al culto personal, restableció la familiaridad con una sonrisa benévola y el sencillo gesto de barrenarse la nariz con el meñique. El comisario arrimó una silla y se sentó. Yo juzgué preferible mantener la posición de firmes. Se arremangó el señor ministro la camisa y advertí que llevaba tatuado en el antebrazo un corazón atravesado por un dardo y festoneado por esta lapidaria inscripción: TODAS PUTAS.
—Te estarás preguntando, hijo mío —empezó el señor ministro su importante discurso—, por qué te he convocado a mi presencia y por qué esta entrevista ha lugar en el anonimato de un hotel y no, como correspondería a mi dignidad, en un palacio de mármol. A que sí.

Eduardo Mendoza, El laberinto de las aceintunas

***

Coralie nous propose sa traduction :

Le commissaire Flores ne me laissa pas lambiner dans mes réflexions, mais il agit plutôt comme si ce soudain changement de décor ne nécessitait pas de période d’adaptation, si brève soit elle. Je le précédais dans le somptueux couloir en essayant de garder mes fessiers au niveau des pointes de ses chaussures, et nous arrivâmes alors au terme de notre périple, qui était l’une des portes, sur la poignée de laquelle un petit carton rond priait ainsi NE PAS DERANGER. Le commissaire toqua à la porte et quelqu’un, à l’intérieur, demanda qui était là, à quoi le commissaire répliqua que c’était lui, Flores. La porte s’ouvrit ensuite, bien que l’écriteau admoniteur laissât présager un tout autre accueil, et nous entrâmes dans un salon trop meublé, non pas pour mes goûts spartiates, mais plutôt pour que je puisse gagner la fenêtre et sauter sans qu’on ne me rattrape au vol. Je décidai donc d’abandonner toute idée de fuite et de continuer de tâter le terrain. Ce qui ne manqua pas de me choquer, soit dit en passant, fut que la chambre d’un hôtel qui se prétendait de bonne renommée ne laissât voir ni le lit ni le bidet. Il y avait, en revanche, un occupant, que je n’avais pas aperçu en entrant, puisqu’il se trouvait caché derrière la porte, qui, à présent, notre identité vérifiée, la refermait avec le verrou, la clé et l’entrebâilleur. C’était un homme d’âge mûr et de constitution athlétique. Ses traits et ses manières reflétaient la noblesses de ses origines. Il avait les cheveux grisonnants, soigneusement sculptés au rasoir, la peau très bronzée et il irradiait, dans son ensemble, de cette aura de charcuterie coûteuse qui enveloppe, en général, les cinquantenaires qui travaillent leur apparence corporelle. Cependant, cela ne devait pas être le secret du bonheur, car l’homme en question semblait effrayé, méfiant et un tantinet hystérique. Sans même nous dire bonsoir ni s’intéresser à nous d’une quelconque manière, notre homme courut s’asseoir derrière un bureau, qui occupait le centre de la pièce et sur lequel se trouvait un téléphone et un cendrier en cristal travaillé. Peut être était-ce la crainte que nous lui volions son siège qui l’inquiétait, puisqu’une fois assis, il récupéra visiblement son calme, détendit son visage d’un sourire débonnaire et nous fit signe de nous approcher. L’étrange mais évidente sensation que j’avais déjà vu cette personne quelque part m’assaillit alors. Je voulus me rappeler où, mais l’étincelle était retombée dans le puits sombre du subconscient, d’où ma mémoire ne la régurgiterait que longtemps après, lorsque les choses n’auraient plus de solution. Nous approchâmes du bureau et celui qui se l’était approprié regarda le commissaire, me montra, moi, et éclaircit l’ambigüité en demandant :
— C’est lui ?
— Oui, votre excellence –répondit le commissaire Flores.
Celui qui s’était montré digne d’un tel titre enroula l’index avec lequel il me pointait et s’adressa à moi par la parole.
— Sais-tu à qui tu parles, fils ? –me demanda-t-il.
D’un signe de tête, je répondis que non.
— Expliquez-lui, Flo –dit-il au commissaire.
Ce dernier s’approcha de mon oreille et murmura, comme si l’intéressé ne devait pas écouter la révélation :
— C’est Monsieur le ministre de l’Agriculture, don Cérégume Lavache.
Sans perdre un instant, je fléchis les jambes, inspirai profondément et me suspendis dans les airs pour sauter par dessus le bureau afin de baiser la main de l’illustre personnage, et j’aurais atteint mon but sans la brillante rafale de coups de genou que le commissaire Flores jugea bon de m’administrer dans les parties. Le surhomme, qui, dans toute sa grandeur, devait être exempt du culte personnel, rétablit la familiarité d’un sourire bienveillant, en se fouillant le nez avec l’auriculaire. Le commissaire approcha une chaise et s’assit. Pour ma part, je jugeai préférable de rester debout. Monsieur le ministre retroussa les manches de sa chemise et je remarquai qu’il portait, tatoué sur l’avant-bras, un cœur traversé par une flèche et guirlandé par cette inscription lapidaire : TOUTES DES PUTES.
— Tu dois te demander, mon garçon –monsieur le ministre commença son important discours–, pourquoi je t’ai convoqué et pourquoi cette entrevue a lieu dans l’anonymat d’un hôtel et non, comme le voudrait le protocole, dans un palais en marbre. N’est-ce pas ?

***

Amélie nous propose sa traduction :

Le commissaire Flores ne me laissa pas perdre de temps avec mes suppositions, bien au contraire, et agit comme si ce changement soudain de décor n’avait pas besoin de période d’adaptation, aussi brève soit-elle. Je le précédais dans le couloir somptueux, essayant de réduire la distance entre mon fessier et le bout de ses chaussures, et c’est ainsi que nous arrivâmes au terme de notre périple, représenté par une de ces portes, au bouton de laquelle pendait un petit carton circulaire qui portait l’inscription « PRIERE DE NE PAS DERANGER ». Le commissaire toqua à la porte, quelqu’un à l’intérieur demanda qui c’était, ce à quoi le commissaire répondit que c’était lui, Flores ; la porte s’ouvrit alors, malgré l’avertissement du petit écriteau qui laissait prévoir que l’accueil serait tout autre, et nous entrâmes dans un salon meublé avec excès, non pas pour satisfaire mes goûts austères, mais pour que je puisse atteindre la fenêtre et m’en jeter sans que quelqu’un m’arrête à mi-chemin. Je décidai par conséquent de remettre à plus tard toute tentative d’évasion, et de continuer à tâter le terrain. Soit dit en passant, cela me choquait toujours que dans la chambre d’un hôtel réputé chic, le lit et le bidet ne soient pas visibles. En revanche, elle contenait bien un occupant que je n’avais pas aperçu en entrant car il était caché derrière la porte, lequel la refermait à présent à grand renfort de verrou, de clé et de chaîne, nos identités ayant été contrôlées. Il était de ces hommes mûrs à la constitution athlétique. Ses traits et ses manières reflétaient son illustre naissance. Il avait les cheveux grisâtres soigneusement taillés au rasoir, le teint très bronzé et rayonnait, dans l’ensemble, de cette aura de charcuterie onéreuse qui enveloppe généralement les cinquantenaires qui entretiennent leur apparence physique. Pourtant, ce ne devait être là le secret du bonheur, car l’homme en question avait l’air effrayé, méfiant, et un brin hystérique. Sans nous dire bonsoir ni s’intéresser à nous de quelque manière que ce soit, l’homme s’empressa d’aller s’asseoir derrière un bureau qui occupait le centre de la pièce, et sur lequel trônait un téléphone et un cendrier en cristal sculpté. C’était peut-être la crainte que nous lui prenions son siège qui inquiétait cet homme car, une fois assis, il sembla retrouver son calme, son visage se fendit d’un sourire bonhomme et il nous fit signe de nous approcher. Je fus alors assailli par la sensation troublante mais indéniable d’avoir déjà vu cette personne quelque part. Je voulus retrouver à quel endroit, mais l’étincelle était retombée dans le puits noir du subconscient, d’où la mémoire ne l’expulserait que bien plus tard, quand il n’y aurait déjà plus rien à faire.
Nous nous approchâmes du bureau, et celui qui se l’était approprié regarda le commissaire, me montra du doigt et fit disparaître l’ambiguïté naissante :
—C’est lui, là ?
—Oui, excellence —répondit le commissaire Flores.
L’homme qu’on avait jugé digne d’un tel titre replia l’index qui me désignait et s’adressa à moi via la parole :
—Sais-tu avec qui tu es en train de parler, mon garçon ?
Je niai de la tête.
—Mets-le au courant, Flo —dit-il au commissaire.
Celui-ci se pencha à mon oreille et chuchota, comme si l’intéressé ne devait pas entendre la révélation :
—C’est monsieur le ministre de l’Agriculture, don Ceregumio Lavaca.
Sans perdre un seul instant, je fléchis les jambes, inspirai profondément et me suspendis dans les airs pour sauter par-dessus le bureau et baiser la main de l’éminent personnage ; j’aurais atteint mon but sans la salve de coups de genou fulgurants que le commissaire Flores trouva à propos de m’administrer en plein dans les parties. Le surhomme qui, dans sa grandeur, devait être exempt du culte de la personne, rétablit la familiarité d’un sourire bienveillant et du simple geste de se curer le nez avec son petit doigt. Le commissaire rapprocha une chaise et s’assit. Pour ma part, je jugeai préférable de garder une position stable. Monsieur le ministre retroussa ses manches, et je remarquai qu’il s’était fait tatoué sur l’avant-bras un cœur percé d’une flèche et festonné de cette inscription lapidaire : TOUTES DES PUTES.
—Mon garçon –commença-t-il son discours important–, tu dois te demander pourquoi je nous ai réunis, et pourquoi cette rencontre a lieu dans le cadre anonyme d’un hôtel et non dans un palais de marbre, comme il conviendrait eu égard ma dignité. N’est-ce pas.

***

Chloé nous propose sa traduction :

Le commissaire Flores ne me laissa pas perdre mon temps en conjectures, et fit comme si le soudain changement de décor ne nécessitait pas une période, même brève, d’adaptation. Je le précédais dans le somptueux couloir, en essayant de réduire la distance entre mon fessier et le bout de ses chaussures, et ainsi nous arrivâmes au terme de notre périple, celui-ci étant l’une de ces portes, sur la poignée de laquelle un petit carton rond priait ce-ci : NE PAS DERANGER. Le commissaire Flores frappa la porte de ses jointures et quelqu’un, de l’intérieur, demanda qui était là, ce à quoi le commissaire répliqua que c’était lui, Flores, et la porte s’ouvrit, en dépit du fait que l’écriteau d’avertissement laissait entendre que l’accueil serait tout autre. Nous pénétrâmes dans un salon trop meublé, non pas selon mes goûts spartiates, mais plutôt pour que je puisse gagner la fenêtre, et me glisser à travers elle sans me faire attraper en pleine tentative. Observation faite, je décidai de remettre à plus tard tout plan d’évasion, et de continuer à examiner le terrain. Soit dit en passant, le fait que la chambre d’un hôtel qui se prétendait être bon, ne laisse entrevoir ni lit, ni bidet, ne manqua pas de me choquer. En revanche, elle avait bien un occupant, que je n’avais pas aperçu puisqu’il se trouvait caché derrière la porte qu’il fermait à cet instant, une fois notre identité vérifiée, avec un verrou, une chaînette et à clé. Celui qui agissait de la sorte était un homme mature et de constitution athlétique. Ses traits, ainsi que ses manières, reflétaient sa haute naissance. Il avait des cheveux grisâtres soigneusement coupés au couteau, le teint très bronzé, et il irradiait, dans son ensemble, de cette aura de charcuterie coûteuse qui enveloppe en général les quinquagénaires qui travaillent leur apparence physique. Cependant, ce ne devait pas être là le secret du bonheur, car l’homme en question semblait être apeuré, méfiant et un poil hystérique. Sans même nous souhaiter le bonsoir, ni s’intéresser à nous d’une quelconque manière, l’homme courut s’asseoir derrière un bureau qui occupait le centre de la pièce, sur lequel se trouvait un téléphone et un cendrier en verre sculpté. Peut-être était-ce la crainte qu’on lui vole son siège qui inquiétait tant cet homme, car, une fois assis, il retrouva visiblement son calme, et détendit son visage d’un sourire débonnaire et nous fit signe de nous approcher. La sensation étrange mais indéniable d’avoir déjà vu cette personne quelque part m’assaillit alors. Je voulu me rappeler où, mais l’étincelle était retombée au fond du puits noir de mon subconscient, duquel je ne devais régurgiter la mémoire que bien plus tard, une fois que cela ne servait plus à rien.
Nous nous approchâmes du bureau, et celui qui se l’était approprié regarda le commissaire Flores, me montra du doigt et dissipa l’ambiguïté qu’il créait en demandant :
— C’est lui ?
— Oui, excellence – répondit le commissaire Flores.
Celui qui avait été digne de ce traitement enroula son index avec lequel il me désignait et s’adressa à moi au moyen de la parole.
— Tu sais avec qui tu parles, petit ? – me demanda-t-il.
Je lui fis signe de la tête que non.
— Informez-le, Flo – dit-il au commissaire.
Ce dernier s’approcha de moi et me chuchota à l’oreille, comme si l’intéressé ne devait pas écouter la révélation :
— Ce monsieur, don Ceregumio Lavaca, est le ministre de l’Agriculture.
Sans perdre un instant, je fléchis les jambes, respirai profondément et m’élançai dans les airs pour sauter par-dessus le bureau et baiser la main de ce haut personnage, et mon intention aurait été menée à bien si n’avait été le brillant coup de genou que le commissaire Flores avait trouvé bon de m’administrer dans le derrière. Le surhomme, qui, par sa grandeur, devait être exempt du culte de la personne, rétablit la familiarité avec un sourire bienveillant et le simple geste consistant à se fourrer le petit doigt dans le nez. Le commissaire attrapa un siège et s’assit. Je jugeai préférable de maintenir une position verticale. Monsieur le ministre retroussa les manches de sa chemise et je remarquai qu’il avait, tatoué sur l’avant-bras, un cœur traversé par une flèche et festonné de cette inscription lapidaire : TOUTES DES SALOPES.
— Tu dois te demander, mon garçon – commença-t-il son important discours –, pourquoi t’ai-je convoqué en ma présence, et pourquoi cette entrevue se déroule-t-elle dans l’anonymat d’un hôtel et non, comme l’exigerait ma dignité, dans un palais de marbre, n’est-ce pas ?

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Émeline nous propose sa traduction :

Le commissaire Flores ne me laissa pas lambiner sur mes suppositions, mais il agit comme si ce soudain changement de décor n’avait pas besoin d’un temps, même bref, d’adaptation. Je le précédais dans le somptueux couloir en essayant de devancer la pointe de ses chaussures avec mes fesses, et c’est ainsi que nous arrivâmes au terme de notre périple, représenté par une des portes, sur la poignée de laquelle un petit carton circulaire priait : NE PAS DÉRANGER. Le commissaire frappa à la porte avec les phalanges, et, depuis l’intérieur, quelqu’un demanda qui toquait, ce à quoi le commissaire répondit lui, Flores, et après, la porte s’ouvrit, malgré le petit écriteau avertissant qu’il aurait fallait s’attendre à un tout autre accueil, et nous entrâmes dans un salon beaucoup trop meublé, non pas à mon goût spartiate, mais pour que je puisse gagner la fenêtre et me jeter à travers sans être arrêté à mi-chemin. Selon quoi, je décidai de remettre à plus tard tout plan de fugue, et de continuer à étudier le terrain. Soit dit en passant, le fait que dans la chambre d’un hôtel qui se prétendait bon ni lit ni lavabo ne soient visibles ne cessait de me choquer. Elle abritait, à l’inverse, un occupant, que je n’avais pas vu en entrant car il était derrière la porte, qui une fois vérifiée notre identité, fermait à double tour, avec targette, clé et chaînette. Celui-ci était un gentleman d’âge mûr à la carrure athlétique. Ses traits et ses gestes reflétaient sa naissance élevée. Il avait les cheveux grisâtres nettement sculptés au rasoir, le teint très bronzé, et il irradiait, dans son ensemble, cette aura de coûteuse charcuterie qui enveloppe généralement les cinquantenaires qui travaillent leur apparence corporelle. Cependant, ce ne devait pas être celui-là, le secret du bonheur, puisque le gentleman en question paraissait effrayé, méfiant et un tantinet hystérique. Sans même nous dire bonsoir ni même s’intéresser à nous, le gentleman courut s’asseoir derrière un bureau qui occupait le centre de la pièce et sur lequel étaient posés un téléphone et un cendrier en cristal taillé. Peut-être était-ce la peur de nous voir lui retirer le siège qui faisait s’inquiéter le gentleman, puisqu’une fois assis, il récupéra visiblement son calme, détendit son visage en un sourire bonhomme, et nous fit signe d’approcher. L’étrange, mais évidente, sensation d’avoir déjà vu cette personne quelque part m’assaillit alors. Je voulus me souvenir où, mais l’étincelle était retombée dans le puits noir de mon subconscient, duquel la mémoire ne la régurgiterait que beaucoup plus tard, quand les choses n’auraient déjà plus de remède.
Nous nous approchâmes du bureau, et celui qui se l’était approprié regarda le commissaire, me montra du doigt, moi, et éclaircit l’ambigüité causée par tout cela en demandant :
—C’est lui ?
—Oui, excellence –répondit le commissaire Flores.
Celui qui, avec pareil traitement, était devenu créancier, enroula l’index avec lequel il me pointait, et se dirigea à moi au moyen de la parole.
—Tu sais qui je suis mon garçon ? –me demanda-t-il.
Je dis non de la tête.
—Faites-le-lui savoir, Flo –dit-il au commissaire.
Celui-ci s’approcha de mon oreille et murmura, comme si l’intéressé ne devait pas entendre cette révélation :
—C’est Monsieur le Ministre de l’Agriculture, don Ceregumino Lavaca.
Sans perdre un instant, je fléchis les jambes, respirai profondément et me retins de sauter par-dessus la table et de baiser la main de ce haut personnage, or je serais parvenu à mes fins, sans le scintillant coup de genou que le commissaire Flores eu la bonne idée de m’envoyer là où je pense. Le surhomme, qui, dans sa grandeur, devait être immunisé contre le culte personnel, rétablit la familiarité avec un sourire plein de bonté et le simple geste de se curer le nez avec le petit-doigt. Le commissaire attrapa une chaise et s’assit. Je jugeai préférable de maintenir la position fermement. Monsieur le Ministre remonta les manches de sa chemise et je remarquai un tatouage, sur son avant-bras, traversé par une flèche, et orné de la lapidaire inscription : TOUTES DES PUTES.
—Tu te demanderas certainement, mon garçon –commença Monsieur le Ministre son important discours–, pourquoi tu es convoqué en ma présence, et pourquoi ce rendez-vous a lieu dans l’anonymat d’un hôtel, et non, comme il correspondrait à ma dignité, dans un palais d’ivoire. Je parie que oui.

***

Laëtitia Sw nous propose sa traduction :

Le commissaire Flores ne me laissa pas me perdre en conjectures, bien au contraire, il fit comme si ce brusque changement de décor ne requérait aucun temps d’adaptation, fût-il bref. Je le précédais le long de ce somptueux couloir, en essayant de faire coincider mes fesses avec la pointe de ses chaussures, et ce fut ainsi que nous arrivâmes au terme de notre périple devant une porte à la poignée de laquelle pendait une petite pancarte ronde qui indiquait : NE PAS DÉRANGER. Le commissaire frappa à la porte avec la jointure de ses doigts et une voix depuis l’intérieur demanda qui c’était, ce à quoi le commissaire répondit que c’était lui, Flores, puis la porte s’ouvrit, bien que le petit écriteau en guise d’avertissement laissât présager un tout autre accueil. Nous entrâmes alors dans un salon encombré de meubles, non pas au regard de mes goûts spartiates en la matière, mais eu égard à la possibilité que j’avais de gagner la fenêtre pour m’y jeter sans risquer d’être cueilli en cours de tentative. Par conséquent, je décidai de remettre à plus tard tout plan de fuite et de continuer à tâter le terrain. Soit dit en passant, le fait que la chambre d’un hôtel prétendument luxueux n’offrît à la vue ni lit ni bidet avait été pour moi une source d’étonnement durable. En revanche, elle comportait bien un occupant que je n’avais pas vu en entrant parce qu’il était caché derrière la porte dont il s’employait désormais à tourner la clef, pousser le verrou et crocheter le cadenas, après avoir vérifié notre identité. C’était un homme mûr, de complexion athlétique. Ses traits et ses manières reflétaient sa haute condition. Ses cheveux grisâtres semblaient avoir été ciselés au rasoir, il avait le teint fort bronzé et il irradiait, dans l’ensemble, cette aura propre à un visage charcuté qui accompagne, en général, les quinquagénaires soucieux de leur apparence corporelle. Cependant, ce n’était pas en cela que devait résider le secret du bonheur, car le monsieur en question avait l’air effrayé, méfiant et un brin hystérique. Sans même nous souhaiter bonsoir ni s’intéresser à nous d’une quelconque façon, le monsieur courut s’asseoir derrière un bureau qui occupait le centre de la pièce, sur lequel il y avait un téléphone et un cendrier taillé dans du cristal. Peut-être était-ce la crainte de se voir ravir son siège qui alarmait ce monsieur car, une fois installé, il recouvra visiblement son calme, son visage se détendit dans un sourire bonasse et il nous fit signe de nous approcher. Je fus alors assailli par la sensation bizarre mais sans équivoque d’avoir déjà vu cette personne quelque part. Je voulus me souvenir de l’endroit, mais l’étincelle de vérité avait dû tomber dans le puits noir de l’inconscient et elle ne devait ressurgir que bien après des profondeurs de la mémoire, lorsque les choses n’avaient déjà plus de solution.
Nous nous approchâmes du bureau et celui qui se l’était approprié regarda le commissaire, me montra du doigt et dissipa l’ambiguïté ambiante en demandant :
— C’est lui ?
— Oui, excellence — répondit le commissaire Flores.
Celui qui s’était vu gratifier d’un tel traitement plia l’index qu’il pointait en ma direction et s’adressa à moi en ces termes :
— Sais-tu à qui tu parles, mon enfant ? — me demanda-t-il.
Je fis non de la tête.
— Informez-l’en, Flo — dit-il au commissaire.
Ce dernier s’approcha de mon oreilla et murmura comme si l’intéressé ne devait pas entendre cette révélation :
— Il s’agit de monsieur le ministre de l’Agriculture, don Ceregumio Lavaca.
Sans perdre un instant, je fléchis les jambes, pris une profonde inspiration et m’apprêtai à m’élancer dans les airs pour sauter par-dessus le bureau afin d’aller baiser la main de cet homme illustre, et j’aurais réussi mon coup si le commissaire Flores n’avait pas eu la grande idée de me flanquer un formidable coup de genou dans un endroit bien précis. Le surhomme, qui, dans sa grandeur, devait être immunisé contre le culte de sa personne, rétablit un contact familier d’un sourire bienveillant et d’un geste simple qui consistait à se curer le nez de l’auriculaire. Le commissaire approcha une chaise et s’assit. Je jugeai préférable de conserver fermement ma position. Monsieur le ministre retroussa les manches de sa chemise et je remarquai qu’il portait tatoué sur l’avant-bras un cœur traversé d’une flèche et auréolé par cette inscription lapidaire : TOUTES DES PUTES.
— Tu dois te demander, mon enfant — dit monsieur le ministre en préambule à son important discours —, pourquoi je t’ai fait convoquer en ma présence et pourquoi cette entrevue a lieu dans l’anonymat d’un hôtel et non, comme il siérait à ma dignité, dans un palais en marbre. Oui, effectivement.

***

Sonita nous propose sa traduction :

Le commissaire Flores ne me laissa pas traîner des pieds dans mes conjectures, il réagit plutôt comme si ce changement soudain de décor n’avait pas besoin d’une période, même brève, d’adaptation. Je le précédais dans le somptueux couloir en essayant que mes fesses dépassent le bout de ses chaussures, et c’est ainsi que nous arrivâmes à la fin de notre périple, qui était l’une des portes sur laquelle le bouton était orné d’un petit carton qui disait ceci : NE PAS DÉRANGER. Le commissaire frappa à la porte avec ses jointures et quelqu’un demanda qui allait là, ce à quoi le commissaire répondit que c’était lui, Flores, après cela la porte s’ouvrit, malgré le petit écriteau avertisseur qui laissait prévoir que l’accueil serait tout autre, et nous rentrâmes dans un séjour trop meublé à mon goût, non pas à cause des mes goûts maintenant plus austères, sinon pour que je puisse gagner la fenêtre et me jeter sans me faire attraper au beau milieu de ma tentative. Étant donnée la situation, je décidai de remettre à plus tard un quelconque plan de fuite et de continuer à étudier le terrain. Je fus choqué, soit-il dit en passant, par le fait que la chambre d’un hôtel qui se prétendait de bonne qualité, n’eut pas visibles ni le lit ni le bidet. En revanche il y avait là un occupant que je n’avais pas vu en entrant car il était caché derrière la porte, et une fois notre identité vérifiée, il la renfermait au verrou, à la clé et au loquet. C’était un homme d’âge mûr au corps athlétique qui faisait cela. Ses factions et ses manières reflétaient qu’il était bien né. Il arborait une chevelure grisâtre soigneusement sculptée au rasoir, il avait la peau très bronzée et il irradiait, dans l’ensemble, cette aura de charcuterie chère qui a l’habitude d’envelopper les quinquagénaires qui soignent leur apparence physique. Cependant, cela ne devait pas être le secret du bonheur, parce que le monsieur en question semblait être effrayé, méfiant et un brin hystérique. Sans nous dire bonsoir ou s’intéresser à nous d’une quelconque façon, le monsieur s’empressa d’aller s’asseoir derrière un bureau qui occupait le centre de la pièce et sur lequel il y avait un téléphone et un cendrier en cristal taillé. Peut-être était-ce la peur qu’on lui prit le siège ce qui inquiétait ce monsieur, parce qu’une fois assis il récupéra visiblement son calme, détendit ses traits dans un sourire aimable et nous fit signe de nous rapprocher. Je fus alors assailli par l’étrange, mais évidente sensation que j’avais vu cet homme auparavant. Je voulus me souvenir où je l’avais rencontré mais le flash était retombé dans le puits noir du subconscient, duquel il ne devait régurgiter que bien longtemps après, quand les choses n’auraient déjà plus de solution. Nous nous rapprochâmes de la table et celui qui s’en était approprié regarda le commissaire, me désigna du doigt et leva l’ambigüité causée par ce geste en demandant :
— C’est lui ?
— Oui, excellence — répondit le commissaire Flores.
Celui qui s’était montré digne d’un tel traitement enroula l’index avec lequel il me montrait du doigt et s’adressa à moi en utilisant la parole.
— Sais-tu avec qui tu parles, mon garçon ? — Me demanda-t-il.
Je fis non de la tête.
— Dites-le-lui, vous — dit-il au commissaire.
Celui-ci se rapprocha de mon oreille et me murmura comme si l’intéressé ne devait pas entendre cette révélation :
— C’est le ministre de l’Agriculture, don Ceregumio Lavaca.
Sans perdre de temps, je fléchis les jambes, respirai profondément et pris de l’élan afin de bondir sur la table et embrasser la main du haut personnage, et j’aurais accompli mon but si ce n’était le cuisant coup de genou que le commissaire Flores eût à bien de m’appliquer dans mes parties. Le super homme qui, dans sa grandeur, devait être immunisé contre le culte de la personne, rétablit la familiarité avec un sourire bienveillant et le simple geste de se mettre le petit doigt dans le nez. Le commissaire saisit une chaise et s’assit. J’ai jugé préférable maintenir la position des fermes. Le ministre retroussa les manches de sa chemise et je remarquai qu’il avait tatoué sur l’avant-bras un cœur transpercé d’un dard et festonné de cette lapidaire inscription : TOUTES DES PUTES.
— Tu dois être en train de te demander, mon garçon —le ministre débuta son important discours — pourquoi je t’ai convoqué à me voir et pourquoi cet entretien a lieu dans l’anonymat d’un hôtel et non pas, comme cela correspondrait à mon rang, dans un palais de marbre. Je parie que oui.

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Auréba nous propose sa traduction :

Le commissaire Flores ne me laissa pas lambiner dans mes pronostics, mais agît plutôt comme si ce changement soudain de décor n´avait pas besoin d´une période, même brève, d´adaptation. Je le précédais dans le somptueux couloir en essayant d´avancer mes fessiers aux bouts de ses chaussures, et nous arrivâmes ainsi au terme de notre périple, qui était une des portes, sur le bouton de laquelle un petit carton rond disait ceci : NE PAS DÉRANGER. Le commissaire frappa à la porte avec les jointures de ses doigts et quelqu´un depuis l´intérieur demanda qui c´était, ce à quoi le commissaire répliqua que c´était lui, Flores, derrière qui la porte s´ouvrit, malgré le fait que le petit écriteau d´avertissement laissait prévoir que l´accueil allait être bien différent, et nous entrâmes dans un salon trop meublé non pas pour mes goûts spartiates, sinon pour que je puisse gagner la fenêtre et m´y jeter sans être attrapé en plein essai. Par conséquent, je décidai d´ajourner tout plan de fugue et de continuer à étudier le terrain. Je restais choqué, soit-il dit en passant, par l´idée que la chambre d´un hôtel prétendument bon n´ait pas à la vue ni le lit ni le bidet. Elle avait bien, par contre, un occupant que je n avais pas perçu en entrant car il était caché derrière la porte que maintenant qu´il connaissait notre identité, il fermait avec le verrou, la clef et la chaîne. Celui-ci était un homme mûr de complexion athlétique. Les traits de son visage et ses manières reflétaient combien il venait d´un milieu élevé. Sa chevelure grisâtre était soigneusement sculptée au rasoir, il avait le teint très bronzé et irradiait, dans l´ensemble, cette aura de charcuterie chère qui enveloppe souvent les quinquagénaires qui travaillent leur apparence corporelle. Ça ne devait pas être ça, cependant, le secret du bonheur, car le monsieur en question semblait être effrayé, méfiant et un brin hystérique. Sans nous dire bonsoir ni s´intéresser à nous en aucune façon, le monsieur alla vite s´assoir derrière une table de bureau qui occupait le centre de la pièce et sur laquelle il y avait un téléphone et un cendrier en verre sculpté. Peut-être était-ce la crainte qu´on lui enlève son siège qui inquiétait le monsieur, car une fois assis il récupéra visiblement sa tranquillité, détendit son visage par un sourire débonnaire et nous fit signe de nous approcher. Je fus alors saisi par la sensation étrange mais aussi évidente d´avoir vu cette personne quelque part. Je voulus me souvenir où, mais la lueur était encore tombée dans le trou noir du subconscient, d´où la mémoire ne devait pas la régurgiter jusqu´à bien plus tard quand il n´y avait déjà plus rien à faire.
Nous nous approchâmes de la table et celui qui se l´était appropriée regarda le commissaire, me montra du doigt et balaya l´ambigüité causée par ceci en demandant :
_ C´est lui ?
_ Oui, excellence_ répondit le commissaire Flores.
Celui qui avait mérité ce traitement enroula l´index avec lequel il me pointait et s´adressa à moi par le biais de la parole.
_ Sais-tu avec qui tu es en train de parler, fiston ?_ me demanda-t-il.
Je fis non de la tête.
_ Informez le vous-même, Flo_ dit-il au commissaire.
Celui-ci s´approcha de mon oreille et susurra comme si l´intéressé ne devait pas entendre la révélation :
_ C´est monsieur le ministre de l´Agriculture, don Ceregunio Lavaca.
Sans perdre un instant, je fléchis mes jambes, respirai profondément et pris mon élan pour sauter au dessus de la table et baiser la main du haut personnage, et j´aurais réussi mon coup si ce n´était à cause de l´étincelant coup de genou que le commissaire Flores eut à bien de m´administrer quelque part. Le surhomme, qui, dans sa grandeur, devait être exempt du culte personnel, rétablit la familiarité avec un sourire bienveillant et le simple geste de se curer le nez avec le petit-doigt. Le commissaire rapprocha une chaise et s´assit. J´estimai qu´il était préférable de rester au garde-à-vous. Le ministre retroussa les manches de sa chemise et je remarquai qu´il était tatoué sur l´avant-bras d´un cœur traversé par un dard et festonné par cette inscription lapidaire : TOUTES DES PUTES.
Tu dois être en train de te demander, mon fils_ monsieur le ministre commença son important discours, _ pourquoi je t´ai convoqué à ma présence et pourquoi cette entrevue a lieu dans l´anonymat d´un hôtel et non pas, comme il correspondrait à ma dignité, dans un palais en marbre. N´est-ce pas.

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Laëtitia So nous propose sa traduction :

Le commissaire Flores ne me laissa pas me perdre dans mes suppositions, mais il agit plutôt comme si ce changement soudain de décor ne réclamait pas une période d’adaptation, même brève. Je le précédais dans le somptueux couloir faisant en sorte que mes fesses dépassent le niveau du bout de ses chaussures, et nous arrivâmes ainsi au terme de notre périple, devant une des portes, au bouton de laquelle un petit carton rond priait ainsi : NE PAS DERANGER.
Le commissaire frappa à la porte et quelqu’un de l’intérieur demanda qui était là, à quoi le commissaire répondit que c’était lui, Flores. Après quoi la porte s’ouvrit, bien que la petite pancarte informative fît penser que l’accueil serait tout autre, et nous entrâmes dans un salon trop meublé non pas pour mes goûts spartiates, mais pour que je puisse atteindre la fenêtre et m’y jeter sans être rattrapé à mi-chemin. Voyant cela, je décidai de reporter tout plan de fuite et de continuer à étudier le terrain. Je fus choqué, soit dit en passant, que la chambre d’un hôtel qui se prétendait être bon n’ait ni le lit ni le bidet en vue. Il y avait, en revanche, un occupant que je n’avais pas aperçu parce qu’il se trouvait caché derrière la porte, qui vérifiait notre identité, et fermait derrière nous à double tours. Celui qui faisait cela était un homme d’âge mûr à la carrure athlétique. Ses traits et manières reflétaient le niveau élevé de son éducation.
Il avait les cheveux grisâtres soigneusement sculptés au rasoir, le teint très bronzé et il irradiait, dans l’ensemble, cette aura de charcuterie de luxe qui a coutume d’envelopper les quinquagénaires qui travaillent leur apparence physique. Cependant, ce ne devait pas être le secret du bonheur, parce que le gentleman en question semblait apeuré, méfiant et un tantinet hystérique. Sans nous dire bonsoir ni s’intéresser à nous d’une quelconque façon, le gentleman courut s’asseoir derrière un bureau qui occupait le centre de la pièce et sur lequel se trouvaient un téléphone et un cendrier en crystal taillé. Peut-être était-ce la peur qu’on lui prenne son siège qui troublait le gentleman, parce qu’une fois assis il retrouva visiblement son calme, il détendit son visage en un sourire débonnaire et nous fit signe d’approcher. Je fus soudain assailli par l’étrange mais évidente sensation d’avoir déjà vu cette personne quelque part. Je voulus me rappeler où, mais le détail était retombé dans le puits noir du subconscient, duquel la mémoire ne le régurgiterait pas avant bien longtemps après, quand les choses n’auraient plus de solution.
Nous nous approchâmes de la table et celui qui se l’était appropriée regarda le commissaire, me montra du doigt et écarta l’ambiguïté causée par ce geste en demandant :
- C’est lui ?
- Oui, excellence –répondit le commissaire Flores.

L’individu qui était à l’origine de ce traitement rangea l’index avec lequel il me signalait et s’adressa à moi par le biais de la parole.
- Tu sais à qui tu parles, petit gars ? – me demanda-t-il.
Je lui dis que non de la tête.
- Informez-le vous-même, Flo – dit-il au commissaire.
Celui-ci s’approcha de mon oreille et murmura comme si l’intéressé n’avait pas à écouter la révélation :
- C’est le Ministre de l’agriculture, don Ceregumio Lavaca.
Sans perdre un instant, je fléchis les jambes, je respirai profondément et je m’élançai pour sauter en l’air par-dessus la table et baiser la main du haut personnage, et j’aurais réalisé mon projet si le commissaire Flores n’avait pas trouvé bon de m’administrer un brillant coup de genou dans les bijoux de familles. Le surhomme, qui, dans sa grandeur, devait être immunisé contre le culte de la personnalité, rétablit la familiarité avec un sourire bienveillant et le simple geste de se fouiller le nez avec le petit doigt. Le commissaire avança une chaise et s’assit. Je jugeai préférable de maintenir fermement ma position. Le Ministre retroussa les manches de sa chemise et je remarquai qu’il avait l’avant-bras tatoué d’un cœur transpercé par une flèche et festonné par cette inscription lapidaire : TOUTES DES PUTES.
- Tu dois te demander, mon garçon – le Ministre entama son important discours-, pourquoi je t’ai convoqué devant moi et pourquoi cette entrevue a lieu dans l’anonymat d’un hôtel et non pas, comme il correspondrait à ma dignité, dans un palais en marbre. N’est-ce pas.

1 commentaire:

Sonita a dit…

Oh là là! Cette syntaxe n'est pas commode à l'heure de traduire!
Il y a là un sacré boulot en perspective!
Génial!!!